Douce noire, prunelart, chouchillon blanc, …, ces noms ne vous disent certainement rien mais il s’agit de cépages longtemps cultivés en France. Leur présence a malheureusement périclité au fil du temps au profit de leurs cousins plus productifs et plus rentables comme le merlot et le cabernet sauvignon. A l’image des tomates cœur de bœuf, des topinambours et autres légumes d’antan, ces cépages reviennent au goût du jour. Que ce soit pour des raisons climatiques ou en raison de la philosophie du vigneron, les surfaces cultivées de ces cépages oubliés gagnent peu à peu du terrain mais des difficultés persistent.
Qu’est-ce qu’un cépage ?
Vous avez certainement entendu ce terme maintes fois sans réellement en comprendre le sens. Il s’agit de la variété du raisin avec des caractéristiques qui lui sont propres, au niveau des feuilles, des grappes, des arômes etc. Ces différences sont dues au génotype unique du cépage. Il existe des cépages dits internationaux que l’on peut retrouver comme le nom l’indique dans le monde entier à l’instar du cabernet sauvignon et du chardonnay. D’autres cépages, qualifiés d’autochtones, ne se retrouvent que dans un terroir spécifique pour pouvoir exprimer tout leur potentiel aromatique. Cela permet l’expression d’une certaine typicité, c’est à dire que les arômes et saveurs sont typiques des vins du terroir d’origine. L’Italie est la championne en terme de cépages autochtones avec plus de 500 variétés cultivées dans toutes les régions italiennes.
Un manque de diversité
La France compte plus de 200 cépages cultivés mais une dizaine seulement représente les trois quarts de la surface totale plantée. A eux seuls, près de quarante cépages occupent 95 % du vignoble français. La diversité en France est très faible avec des cépages sur-représentés comme le merlot, le sauvignon blanc etc. Elle possède cependant une grande richesse de cépages oubliés. Grâce à la philosophie du vigneron ou des nécessités culturales, ces variétés laissées à l’abandon retrouvent peu à peu leur titre de noblesse. Des pieds de vigne oubliés au fond d’une parcelle ou soigneusement conservés par un vigneron philanthrope permet de voir réapparaitre des variétés que l’on pensait perdues.
Le vignoble français évolue
L’encépagement du vignoble français a beaucoup évolué au cours des âges. L’arrivée des troupes romaines à travers la Gaulle a permis l’essor du vin en France, en particulier dans le Sud-Ouest. Après la chute de l’Empire romain, les cépages se sont diffusés grâce aux pèlerins qui emportaient avec eux des pieds de vigne lors de leur pèlerinage. Chaque région donnait ainsi un nom différent au cépage comme le malbec aussi connu sous le nom de cot. La crise phylloxérique au XIXème siècle a mis un gros coup de frein à la diversité de cépages. Seuls une poignée ont été gardés pour leur qualité colorante, leur degré d’alcool et les volumes produits. Un siècle plus tard, en 1956, des primes furent versées aux viticulteurs par le Ministère de l’agriculture pour arracher des cépages alors qualifiés de “cépages interdits” car donnant de mauvais vins. Les années 75 connaissent une crise de surproduction entrainant encore davantage une perte de diversité. Les cépages étaient abandonnés car compliqués à cultiver mais également en raison de la qualité médiocre des vins produits.
Un parcours semé d’embûches
Aujourd’hui, on retrouve un engouement de la part des viticulteurs mais également des consommateurs pour ce patrimoine viticole oublié. Certains vignerons ont voulu préserver cette diversité en étant seuls à se dresser contre la standardisation des vins et de leurs arômes depuis plusieurs décennies. C’était pratiquement peine perdue aux vues de la rigueur des cahiers des charges des appellations. C’est également un procédé très compliqué de reclasser les cépages délaissés dû à des protocoles administratifs longs et fastidieux. Du côté, des amateurs de vin, les études montrent un intérêt croissant pour les vins atypiques sortant de l’ordinaire. Habitués aux cépages traditionnels, les plus curieux vont être attirés par les noms de cépages singuliers mentionnés sur les bouteilles.
La génétique au service des vignerons
D’autres facteurs mènent également les vignerons au retour de ces plants : le réchauffement climatique. De nombreux projets menés par des laboratoires de recherche comme au domaine de Vassal appartenant à l’INRA permet de conserver la plus grande diversité génétique possible. On y retrouve plus de 2 600 variétés de Vitis vinifera. Il s’agit de l’espèce de vigne la plus cultivée en Europe. Par-exemple, le malbec et le riesling appartiennent à l’espèce Vitis vinifera. Ce site situé près de Sète a plusieurs objectifs. Tout d’abord, une comparaison des cépages actuels avec ceux abandonnés permet de remonter l’arbre généalogique de la variété. Le rôle du conservatoire est également essentiel dans la préservation des cépages oubliés. C’est ainsi que Robert Plageoles, du domaine Plageoles, a pu retrouver le verdanel qu’il cultive aujourd’hui à Gaillac dans le Sud-Ouest. Vous pouvez retrouver ce magnifique domaine sur notre site internet avec la cuvée Vin de Voile qui saura vous rappeler les plus grands du Jura. Des notes d’épices orientales, de noix verte, de curry,… accompagné d’un jambon ibérique et vous tomberez sous le charme de ce grand vin.
Les vignerons s’adaptent au rythme de la vigne
Une étude menée par un laboratoire de recherche américain a estimé que face au dérèglement climatique en cours, la moitié du vignoble français est voué à disparaitre. Les vignobles comme la Provence ou le Bordelais sont les plus à risque. De nouvelles régions viticoles vont probablement éclore comme aux Pays-Bas ou au sud de la Suède.
Face à ces prédictions préoccupantes, les viticulteurs prennent le parti de s’adapter, à l’image de la vigne qu’ils cultivent. A travers leur système de culture (taille, exposition au soleil), les pratiques mises en place (travail du sol maîtrisé, enherbement), les vignerons retournent sur les pas de leurs ancêtres pour respecter la vigne, le sol et sa biodiversité. Cela passe avant tout par la compréhension du terroir. La vigne se montre elle aussi résiliente face au réchauffement climatique. Les cépages anciens montrent le meilleur potentiel d’adaptation face aux degrés qui grimpent. Les teneurs en alcool des vins grimpent en raison du taux de sucre élevé contrairement à l’acidité qui diminue. Les cépages cultivés autrefois permettent d’atteindre un degré d’alcool plus faible et de conserver une bonne acidité. Il s’agit par ailleurs de cépages plus tardifs mettant davantage de temps pour mûrir, ce qui permet de diminuer l’impact des canicules estivales.
Face à un millésime capricieux, les cépages oubliés savent s’adapter pour produire un jus de qualité avec un beau potentiel.
Le cas du Sud-Ouest
La région du Sud-Ouest de la France qui s’étend de la Gascogne au Bergeracois possède une ressource en variétés atypiques plus importante avec des cépages comme le fer servadou ou le loin de l’œil. Cette grande diversité trouve son origine à l’époque romaine avec l’arrivée des légionnaires romains qui emportaient avec eux leurs pieds de vigne. Le phénomène est renforcé à partir du IXème siècle grâce au passage des chemins de Saint Jacques de Compostelle. Des abbayes puissantes comme l’abbaye de Conques permet le développement de cépages autochtones tels le gouait ou le menut, ancêtre du cabernet sauvignon.
Souvent qualifiés de démodés voire vieillots, les vignerons qui se sont battus pour préserver cette diversité étaient peut-être simplement visionnaires ! Le vignoble français est ainsi en continuelle mutation avec aujourd’hui un retour aux pratiques et variétés d’antan.